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18. 02. 2014.

Migrations: les Roms viennent en Allemagne pour travailler, pas pour toucher les aides sociales



 Migrations: les Roms viennent en Allemagne pour travailler, pas pour toucher les aides sociales



Le Courrier des Balkans

Migrations : les Roms viennent en Allemagne pour travailler, pas pour toucher les aides sociales

Traduit par Myriam Détruy Sur la Toile:
 
Publié dans la presse : 19 janvier 2014 Mise en ligne : samedi 15 février 2014 En Allemagne comme en France, les politiciens agitent une hypothétique arrivée massive de populations pauvres d’Europe de l’Est, et notamment de Rroms, pour attiser la peur des électeurs et capitaliser sur des thématiques populistes. Pourtant, de l’autre côté du Rhin, on demande sans cesse une main d’œuvre bon marché pour exercer les métiers que personne ne veut faire... L’analyse du journaliste Norbert Mappes-Niediek. Par Norbert Mappes-Niediek
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Le quartier de Duisbourg-Marxloh
Si, si, on veut de l’immigration. Non, on n’a rien contre les étrangers, et rien contre les Rroms, qui ont tout de même été victimes d’un génocide et qu’on poursuit jusqu’à nos jours dans certains endroits. Il nous faut une main-d’œuvre spécialisée et son origine nous est égale. Ce que nous ne voulons pas, cependant, c’est une immigration dans notre système social.



Voilà le large consensus qui a été atteint après la série de provocations faites par la CSU (Union Sociale-Chrétienne, parti frère de la CDU). Sauf qu’« immigration dans le système social » est en tant que tel un parti pris qui s’applique mal à la situation réelle.

Personne ne vient en Allemagne afin de se prélasser dans cet apparent confort social. Et personne ne peut, même parmi les Rroms venant de Roumanie, confondre le quartier de Neukölln à Berlin, Dortmund-Nord ou Duisbourg-Marxloh avec ce pays de cocagne qui attire soi-disant les immigrants pauvres. Les motivations pour l’immigration sont autres. Si l’on avait regardé de plus près, le débat aurait pris une autre tournure.

Le premier grand groupe de ceux dont on ne cesse de parler en ce moment fut repéré à Dortmund-Nord. Il s’agissait au départ de femmes originaires de Stolipinovo, un quartier très pauvre de Plovdiv, en Bulgarie. Elles se prostituaient. A Stolipinovo, comme à Dortmund-Nord, on parle surtout turc. Cela tombait bien.
Existence en puzzle
Puis les femmes ont fait venir leur famille ; les hommes sont allés proposer leurs bras pour des tâches journalières, ou se sont mis à ramasser de la ferraille. Les allocations familiales, ces immigrants de Bulgarie ne savaient même pas qu’ils y avaient droit. Par conséquent, ils ne les demandaient pas. Mais peu à peu, ils ont entendu parler de leur droit aux prestations sociales. Depuis, ils les reçoivent.

Ceux qui vivent dans l’un des quartiers miséreux du Sud-Est de l’Europe, et qui y ont peut-être passé tout le début de leur existence, se comportent comme les habitants des bidonvilles du monde entier, et avec de bonnes raisons : ils construisent leur existence à partir de petits morceaux, comme un puzzle. On fait des petits boulots, on ramasse de la ferraille ou des bouteilles, on fait un peu de commerce, on demande des indemnités, s’il y en a. Si cela ne suffit pas, s’ajoutent la manche, la prostitution et de petites escroqueries.
 
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Dans les bidonvilles, la loi fondamentale est de ne jamais tout miser sur une seule carte. Un travail ou une allocation de chômage sont des promesses fugaces. On les prend si on peut. Mais il serait dangereux de partir de son domicile pour cela. Les boulots ou les allocations disparaissent vite, et on se retrouve à nouveau sans rien. L’essentiel est de ne jamais abandonner le réseau, ne jamais s’isoler. Au moment où les choses deviennent sérieuses, aucun État ou employeur ne vient en aide. Seule la famille sera là, et peut-être les amis les plus proches.

En Europe de l’Est, on ne comprend pas plus qu’ici la logique de la pauvreté. Là-bas, on entend toujours la même histoire triste du jeune Rrom doué, celui que tout le monde voulut aider, à qui l’on trouva du travail après des efforts considérables, et qui à peine une semaine plus tard, n’eut aucune excuse pour son absence, si ce n’est celle d’avoir dû donner un coup de main à son oncle qui réparait sa cabane.

Dans la plupart des cas, la morale de l’histoire se résume à l’idée de « l’éternel tzigane » qui a repris le dessus. Alors que le jeune de l’histoire a seulement agi de façon raisonnable. Un boulot se perd facilement. L’oncle reste.

On peut appeler cela l’économie de la pauvreté. Elle n’est pas moins raisonnable que notre économie de l’épargne et de l’investissement ; sauf qu’elle est justement adaptée aux conditions de la misère perpétuelle. Dès lors, cela ne sert à rien de vouloir se rapprocher des habitants d’un quartier pauvre avec les allures d’un pédagogue du peuple.

Culture, culture, culture ! - disent les politiciens bienveillants quand ils veulent montrer une issue à la misère. L’éducation est la clef, peut-on lire sur la question dans tous les communiqués de la Commission européenne, du Parlement de l’UE et du Conseil européen. Il n’y a bien sûr rien à redire à ce message – sauf qu’il n’est pas vrai.

L’éducation n’est pas la clef, au moins dans les pays d’origine des immigrants pauvres. Partout dans l’Europe de Sud-Est, le lien entre l’éducation et un bon niveau de vie n’existe plus, cela vaut pour tous, pas seulement pour les Rroms. Toute une génération a fait l’expérience que l’éducation ne sert plus à rien. Ils l’ont vu chez leurs parents. Le père était ingénieur, la mère professeur de russe. Aujourd’hui elle fait le ménage chez des gens et le père picole – mais le garçon des voisins qui a quitté l’école pour mener des affaires interlopes, fait le tour du quartier dans sa Porsche Cayenne.
 
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Si les conditions changent, alors l’attitude envers la culture changera elle aussi. Une étude de la fondation Soros menée parmi des Rroms en Italie et Espagne, ainsi qu’en Roumanie et en Bulgarie a montré que, chez les mêmes familles, l’intérêt d’envoyer les enfants à l’école est considérablement plus grand dans le pays d’accueil que dans le pays d’origine.

It’s the economy, stupid : là où l’éducation sert à quelque chose, on se dépêche d’y adhérer. La soif d’intégration et la volonté d’apprendre de certains immigrants posent d’ores et déjà des problèmes aux autorités des pays d’accueil. Pour les débats futurs sur l’immigration des pauvres – s’ils étaient honnêtes et ne servaient pas seulement à flatter les instincts, deux choses sont à garder en tête. D’une part, il ne faut pas vouloir bloquer l’immigration des pauvres. D’autre part, celui qui veut aider à surmonter la misère doit répondre aux besoins de base des concernés, donc sans poser de conditions et sans faire de pédagogie populaire.

Celui qui croit qu’il peut empêcher les habitants des quartiers pauvres de l’Europe du Sud-Est de venir en leur refusant l’aide sociale, aura exactement ce qu’il veut éviter : des bidonvilles, des problèmes, de la criminalité. Celui qui n’a pas le droit d’habiter un logement social se construit une cabane en carton à côté des voies ferrées, qui n’obtient pas d’indemnités chômage doit faire la manche ou voler. Nous ne pouvons simplement pas créer une situation si mauvaise qu’elle donnerait envie aux pauvres de rester chez eux. Même la fameuse « fermeture des frontières » ne marchera pas. Entre la Roumanie et l’Allemagne il n’y a pas de Méditerranée dans laquelle on pourrait se noyer. Celui qui ferme les frontières verra naître une industrie de travail au noir, et celui qui prive les immigrants de leur droit de libre circulation aura le même nombre d’immigrants illégaux. L’expulsion forcée de Rroms du Kosovo depuis 2008 l’a montré. Tous ceux qui ont vécu longtemps là-bas, qui ont leurs parents et leurs amis dans ce pays, y sont retournés. D’une façon ou de l’autre.
Traitement humain
Celui qui veut cependant qu’en Allemagne les bidonvilles ne se répandent pas doit tout d’abord créer des conditions pour une meilleure alternative. On peut seulement avoir des exigences envers quelqu’un qui a quelque chose à perdre. Quelqu’un qui pourrait vivre sa vie selon nos raisons économiques, parce qu’il sera sûr que demain, il aura encore assez à manger, que la semaine suivante, il ne sera pas à la rue, ni arrêté et mis dans un avion. Cela ne veut pas dire que l’Allemagne doit devenir le « bureau d’aide sociale du monde ». Mais elle doit en revanche, et dans son propre intérêt, traiter de façon humaine les hommes qui habitent ici. « Ils vont tous venir » n’est qu’un discours de propagande – de même nature que celui qui raconte que des régions entières du pays seraient déjà dépeuplées parce que les gens habiteraient maintenant tous dans le bassin de la Ruhr. Les plus pauvres des pauvres, qui, en Roumanie, habitent principalement à la campagne, ne font presque pas partie des immigrants. Si nous continuons à croire que les immigrants viennent à cause de notre formidable sens de l’accueil, parce que nous sommes plus gentils avec eux que tous ces soi-disant lugubres Européens de l’Est, et si nous vivons dans le délire que nous devrions leur montrer comment traire les vaches, alors nous allons échouer. Alors un jour, on dira de nouveau : ils ne sont pas intégrables. Nous avons bien tout essayé. Et de nouveau, nous apprendrons à haïr les Rroms.

(Ce texte a initialement été publié en Allemagne par taz.de).

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